Plan de réponse humanitaire 2021
Près de deux ans après la signature de l’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation (APPR), la population centrafricaine est toujours l’otage d’un environnement sécuritaire instable et imprévisible. La poursuite des conflits dans plusieurs zones du pays, les faiblesses structurelles conjuguées aux effets socio-économiques de la pandémie de COVID-19 et aux effets dévastateurs des catastrophes naturelles ont plongé 2,8 millions de personnes dans une grande vulnérabilité. Sur ce total, 1,9 million connaissent des besoins humanitaires sévères, un chiffre inégalé depuis 5 ans qui traduit une détérioration du bien-être physique et mental et des conditions de vie des populations dans l’ensemble du pays.
Entre janvier et août 2020, 1 104 violations de l’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation (APPR) ont été recensées, soit 13% de plus qu’en 2019 à la même période1. Les provinces de l’ouest et du centre concentrent le plus grand nombre de ces incidents. Les agissements violents des groupes armés mais également les rivalités pour le contrôle des minerais précieux (or et diamants), la criminalité et les conflits intercommunautaires, y compris ceux liés à la transhumance, ont entretenu ou créé dans leur sillage de nouvelles poches d’insécurité dans les préfectures de l’Ouham-Pendé, Haute-Kotto, Basse-Kotto et Bamingui-Bangoran. La population civile et les organisations humanitaires en paient un lourd tribut. De janvier à novembre 2020, 365 incidents affectant directement le personnel ou les biens humanitaires ont été enregistrés, soit 93 incidents de plus qu’à la même période en 2019, faisant de la Centrafrique l’un des pays les plus dangereux au monde pour les acteurs humanitaires.
Au défi sécuritaire s’est ajouté l’effondrement de l’économie suite à l’apparition de la pandémie de COVID-19. Déjà classé à l’avant dernière place sur l’Indice de développement humain (IDH), la Centrafrique a vu ses perspectives de croissance économique compromises par le ralentissement des exportations en bois, des difficultés d’approvisionnement en biens non alimentaires et la chute du secteur tertiaire. La croissance du produit intérieur brut (PIB) réel pourrait passer de 3,2% en 2019 à environ 1% en 2020. Le solde budgétaire, dons inclus, devrait s’établir à un déficit de 2.0% du PIB en 2020 contre un excèdent de 1.5% du PIB initialement anticipé2. Cette contraction économique a eu d’importantes répercussions sur l’emploi et le pouvoir d’achat des ménages au moment même où le coût médian du Panier minimum des articles de survie (PMAS) augmentait de 10%.
Quelque 2,8 millions de personnes ont des besoins humanitaires, dont 1,9 million avec des besoins sévères, ces derniers connaissant une augmentation de 12% par rapport à l’année précédente. Cette progression illustre les risques toujours plus nombreux auxquels est confrontée la Centrafrique. Les catastrophes naturelles, les risques de résurgence de la maladie à virus Ebola en République démocratique du Congo (RDC), la faiblesse du système de santé, l’approche des élections présidentielles et législatives le 27 décembre et la persistance des conflits contribuent à placer la Centrafrique à la cinquième place en termes de niveau de risque selon l’indice INFORM 2021.
L’organisation des élections présidentielles du 27 décembre se poursuit avec des avancées notables, notamment l’ouverture de 3 608 centres d’enrôlement et l’établissement de milliers de centres de vote. Reste que la période pré et post-électorale pourrait voir apparaître des troubles de l’ordre public dans la capitale et des flambées de violence dans les provinces. Dans ce contexte, il est à craindre que l’espace humanitaire soit davantage réduit avec des tentatives de politisation de l’aide et des restrictions de mouvements.
La proportion de chocs sur les civils en lien avec les violences et les conflits constitue le double des alertes enregistrées en 2020 par rapport à l’année précédente. Désormais, un Centrafricain sur quatre est déplacé à l'intérieur ou à l’extérieur du pays. Au 30 septembre, 640 715 personnes étaient déplacées internes, soit une augmentation de 7% par rapport à 2019 à la même période. En outre, 3 078 réfugiés fuyant des violences armées en République démocratique du Congo sont arrivés sur le territoire centrafricain début mai, faisant passer le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile en République centrafricaine (RCA) à 10 037 au 31 octobre.
La crise de protection affecte désormais 2,5 millions de personnes. Les restrictions liées à COVID-19 ont davantage fragilisé les femmes face à la violence domestique en raison des mesures de confinement, de la perte de leurs revenus et de leur autonomisation économique. Si le Système de gestion de l’information sur la violence basée sur le genre (GBVIMS) ne couvre que 42% du pays, l’extrapolation des cas de violences basées sur le genre (VBG) rapportés à l’ensemble du pays montre qu’au moins un cas serait enregistré chaque heure. La fermeture des écoles a également exposé les enfants à la violence sexuelle, au risque d’enrôlement dans les groupes armés et au travail. Ainsi, sur l’ensemble des atteintes graves aux droits de l’enfant rapportées dans le cadre du monitoring de protection, 62% l’ont été au mois d’avril et mai 2020 après la fermeture des écoles. Les viols, y compris les viols à répétition sur les mineurs, les violences physiques et psychologiques se produisent en toute impunité en l’absence d’un système judiciaire performant.
Alors qu’elles ont le plus besoin d’aide humanitaire, les personnes handicapées sont souvent reléguées au deuxième plan. Du fait de la stigmatisation et du rejet dont elles font l’objet, elles sont parfois abandonnées lorsque les groupes armés attaquent leurs localités ou lorsque leur famille évacue les zones inondées. Les personnes handicapées éprouvent également d’importantes difficultés à accéder aux services de base. La dernière étude de barrières menée par Humanité & Inclusion en RCA révèle que 57% d’entre elles déclarent ne pas parvenir à se fournir en eau potable, et 40% déclarent ne pas parvenir à accéder à des soins de santé.
Selon les résultats de la dernière analyse du Cadre Intégré de Classification de la Sécurité alimentaire (IPC) de septembre 2020, 1,9 million personnes sont affectées par une insécurité alimentaire aiguë, chiffre qui passe à 2,3 millions en situation projetée. Du fait de l’impact socio-économique de COVID-19, le nombre de personnes en insécurité alimentaire à Bangui a presque doublé, affectant désormais 45% de ses habitants. Par ailleurs, de nouvelles poches de malnutrition sont apparues au sein des populations vivant dans les sites de déplacés ainsi que dans les communes, les villages, la brousse et les champs où l’accès aux soins de santé, à la nourriture, et aux services d’eau, hygiène et assainissement est limité. L’analyse de la sévérité des besoins nutritionnels montre que 81% des sous-préfectures sont en situation nutritionnelle sévère (Phase 3). Au niveau national, le taux de malnutrition aiguë sévère de 1,8% approche le seuil d’urgence de 2%.
Des années de conflit et de sous-investissement ont eu des conséquences catastrophiques sur l’accès aux services essentiels de base. Le nombre de personnes dans le besoin de services en eau, hygiène et assainissement a augmenté de 8%, soit 2,5 millions de personnes en 2021. Le délabrement des systèmes de drainage des eaux, un urbanisme anarchique dans des zones inondables et marécageuses ont accru les risques de propagation de maladies d’origine hydrique, en particulier pendant la saison des pluies. Des infrastructures scolaires délabrées et des salles de classe surchargées attestent de la fragilité du secteur de l’éducation. La fermeture des écoles à la suite des mesures de restriction liés à COVID-19 et la poursuite des conflits armés ont privé un nombre croissant d’enfants âgés de 3 à 17 ans de leur droit à l’éducation. Par rapport à 2020, le nombre d’enfants ayant des besoins urgents en services éducatifs a augmenté de 30% pour totaliser 1,3 million.