Les violences sexuelles, un crime à combattre dans la ville de Bambari
Au courant du premier trimestre 2021, le Système de Gestion de l’Information sur les Violences Basées sur le Genre (GBVIMS) a enregistré 2015 cas de VBGs.
Dès la sortie de l’aérodrome de Bambari, la capitale de la préfecture de la OUAKA, je découvre un site de personnes déplacées internes qui ont fui les différentes crises qui ont affecté la préfecture, certains sont là depuis 2014 et d’autres des combats qui ont opposé les groupes armés de la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) aux Forces Armées Centrafricaines (FACA) et appuyées par ses alliés. Les habitats sont sommaires et en pailles, la poussière de la route en latérite visiblement impacte sur les visages des occupants. La misère, le désespoir, l’angoisse liée à la précarité se lit dans les regards perdus des hommes, femmes et enfants. Il souffle sur le camp un vent de pauvreté et de misère avec de relents de désespoir.
Voilà l’impression qui se dégage de Bambari, qui comme toutes les préfectures de la République centrafricaine, a toujours vécu la guerre qui a provoqué d’importants déplacements de population. On comptait à la fin du mois de mai 2021, 14 197 personnes déplacées internes dont une majorité de femmes et de filles.
« Je revenais de mes activités champêtres, quand soudain, un jeune homme est sorti de la brousse tout nu avec une machette à la main. Il a dit qu’il voulait faire des rapports sexuels avec moi. J’ai fui, mais il m’a rattrapé et frappé avec la machette sur le visage. Il a commencé à me déshabiller, mais je me suis débattu et je criais de toutes mes forces. Il m’a encore frappé sur les cuisses pour m’affaiblir, mais je continuais à hurler et me débattre. Finalement, il m’a laissé quand il a entendu que la population accourrait pour me secourir. J’ai eu de la chance, mais ça n’a pas été le cas pour d’autres femmes du site de déplacés de PK8 qui avaient déjà croisé la route de cet homme. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas encore mis la main sur lui. Je vis actuellement dans la peur, je n’arrive pas à retourner au champ parce que j’ai peur de le rencontrer à nouveau ». Ceci est une histoire qui ressemble à celle de nombreuses femmes et filles de la ville de Bambari vivant dans les sites déplacés. Ces dernières souffrent énormément. Elles subissent des violences basées sur le genre et particulièrement les violences sexuelles et ont un accès très limité aux soins de santé et aux vivres en quantité suffisante.
Au courant du premier trimestre 2021, le Système de Gestion de l’Information sur les Violences Basées sur le Genre (GBVIMS) a enregistré 2015 cas de violences basées sur le Genre dont 471 cas de viols et 97 agressions sexuelles. A Bambari, le partenaire d’exécution, membre du Sous-Groupe de Travail Régional VBG a documenté de juin 2020 à mai 2021, 619 cas de VBG dont 195 cas de violences sexuelles, dont 136 commis sur les mineurs. En 2020, le nombre des cas pris en charge était de 9 216 dont 24% des cas représentaient des violences sexuelles soit 2 281 cas au niveau du pays. 32% des violences sexuelles ont été commises par des membres des groupes armés.
Ainsi dans le cadre de la lutte contre les violences sexuelles en temps de conflit, selon la Résolution A/RES/69/293, l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2015, consciente des conséquences sanitaires, psychologiques et physiques que les violences sexuelles peuvent engendrer sur les survivants (es) avait déclaré le 19 juin « Journée Internationale de l’élimination des violences sexuelles en temps de conflit ». Il faut attendre par l’expression « violences sexuelles liées aux conflits », tout acte tel que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, l’avortement forcé, la stérilisation forcée, le mariage forcé, ainsi que toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, perpétrés contre des femmes, des hommes, des filles ou des garçons, et ayant un lien direct ou indirect avec un conflit. Cette expression inclut également la traite des personnes à des fins de violences sexuelles ou d’exploitation sexuelle lorsque ces faits surviennent en temps de conflit. (https://www.un.org/fr/observances/end-sexual-violence-in-conflict-day).
Simone (non d’emprunt), est une jeune fille de 12 ans, en classe CE1 qui a été victime d’un viol de la part de son oncle. Son récit est glaçant : « Nous vivons dans le site se trouvant à côté de l’hôpital. Ce jour-là, toute la journée, mon oncle me demandait de faire des rapports sexuels avec lui, mais je refusais. Il m’a laissé tranquille. Cependant, dans mon sommeil, j’ai senti comme quelque chose qui se trouvait entre mes jambes. Quand je me suis réveillé, j’ai vu mon oncle sur moi qui s’était levé en souriant. Le matin, j’en ai parlé à ma grand-mère qui m’a vite amené à l’hôpital où j’ai reçu des soins. Maintenant ça va bien, je suis retournée à l’école et mon oncle est actuellement en prison. ». Avec les kits post-viol qui ont été fournis par UNFPA au partenaire d’exécution se trouvant à Bambari, la jeune fille a pu recevoir une prise en charge médicale qui lui a permis de se protéger contre la grossesse non désirée ; le VIH/SIDA ainsi que les infections sexuellement transmissibles. Elle continue encore de recevoir un appui psychologique pour l’aider à surmonter son problème.
Malheureusement, Nema (non d’emprunt), une jeune fille de 14 ans en classe de CE2 n’a pas eu la même chance que Simone car elle est tombée enceinte suite à son viol. « Ma famille et moi, habitons dans le site de déplacé de PK8. Il y a un homme de 56 ans qui me courtisait, mais je refusais parce que je voudrai finir mes études. Sa femme me menaçait toujours en pensant que je voulais de lui. Un soir, en rentrant du champ, il m’avait attendu sur le chemin habituel que j’emprunte et m’a violé. Je n’ai jamais dit à personne que j’avais été violé. Mon père l’avait appris après qu’il m’ai conduit à l’hôpital suite au douleur que je ressentais au niveau de l’abdomen. C’est à ce moment que j’ai découvert que j’étais enceinte d’un mois. Mon père a porté plainte contre l’homme qui est actuellement en prison. Toutefois, je ne veux pas garder cet enfant, j’aimerais avorter parce que je ne veux pas de cette chose dans mon ventre et je veux finir mes études ».
Malheureusement, beaucoup de plaintes ont été déposées au niveau de la gendarmerie, mais peu d’entre elles ont été traitées. Cette situation est due à l’absence de tribunaux pour s’occuper des cas. Lorsqu’il n’y a pas de justice, les survivants (es) et leurs familles posent souvent des actes de vengeances de viol dans l’autre famille. Également, un nombre significatif de cas est réglé à l’amiable entre le bourreau et la famille de la survivante, surtout quand la survivante est encore vierge. Dans ce dernier cas, les parents acceptent ce qu’on appelle « les frais du sang » qui est une somme ne dépassant pas environ $200 pour indemniser la famille. Sur ce point, le père de Nema est catégorique « Je ne vais pas accepter cet argent. Je demande que la justice soit faite pour ma fille. ». La maman d’une fille violée, vivant sur le site d’aviation et dont le bourreau n’a pas encore été arrêté, a révélé qu’elle allait accepter l’argent proposé par l’auteur du crime pour dédommager la famille. Elle dit « Je suis pauvre, je n’ai pas de source de revenu. Je vais accepter cet argent. ».
Au vu des nombreux cas de violences sexuelles dans la ville de Bambari, UNFPA avec le fond reçu du projet CERF, travaille avec un partenaire d’exécution à Bambari, African Initiative for Développent (AID), pour apporter une réponse aux survivant·e·s. Ainsi, un centre d’écoute des survivant·e·s a été mis en place au sein de l’hôpital de Bambari. Ce centre reçoit les personnes qui ont été référées par les cliniques mobiles qui couvrent les axes routiers Bambari-Ippy, Bambari-Ouabei et Bambari-Awatché. Jusqu’à présent l’équipe avait déjà distribué 126 kits de dignité aux femmes vulnérables sur le site de déplacées interne d’Aviation et pris en charge sept cas de violences basées sur le genre dont trois cas de viol y compris un cas de viol sur mineur depuis le début du projet au mois de Mai.
Également dans le cadre de la collaboration avec d’autres partenaires, membres du sous-cluster VBG dont le Ministère de la Promotion de la Femme, de la Famille et de la Protection de l’Enfant, UNFPA a pu distribuer, au total dans tout le pays, 9160 kits de dignité en 2020 ainsi que 52 kits post viol qui ont permis de prendre en charge 2600 cas de viol.
En ce qui concerne la prévention contre les violences basées sur le genre en général et les violences sexuelles en particulier, UNFPA et ses partenaires, collaborent avec les leaders communautaires pour organiser des séances de sensibilisation au sein de la communauté. Durant la période de mai-juin, le partenaire AID a pu sensibiliser 690 personnes à Bambari pour les informer sur l’offre de services au sein des cliniques mobiles. Cette technique a permis de recenser des cas de VBG et particulièrement les violences sexuelles qui ont été commises, mais qui n’avaient pas été déclarées à temps.
Cependant, des défis restent entre autres l’insécurité qui sévit dans la préfecture de la Ouaka et l’absence de l’autorité de l’état qui devrait concerner particulièrement les services judiciaires D’après la population interrogée sur la question de porter plainte contre les auteurs de viol, elle estime qu’en absence du procureur et de la persistance de la corruption, ce n’est pas la peine d’aller au tribunal. Un père dont la fille avait été violée explique : « Ma fille a 10 ans. Elle a été violée par un homme de 40 ans lorsqu’elle revenait du champ. J’avais porté plainte contre lui, mais il a corrompu les autorités et a été libéré de la prison. Ce qui me reste à faire, c’est venger ma fille vue que la justice n’existe pas. ». À cette absence de justice, est accompagné le sentiment de honte et la peur de représailles ressenties par les survivant.e.s, qui sont déjà discriminé(e)s et stigmatisé(e)s dans la communauté.
Le célèbre gynécologue et Prix Nobel de la Paix congolais Denis Mukwege mentionnait : « Cette arme "pas chère et efficace" détruit non seulement les femmes physiquement et psychologiquement, mais aussi les stigmatise, ainsi que les enfants qui peuvent en naître ». Il devient donc impérieux que l’UNFPA et ses partenaires dont en premier lieu le Ministère de la promotion de la famille, de la femme et de la protection de l’enfant, conjuguent leurs efforts en sensibilisant la population sur les conséquences psychologiques et physiques que ces violences sexuelles engendrent sur les survivant·e·s, en vulgarisant les textes de loi sur les VBG, en multipliant les centres d’écoute et en plaidant pour l’établissement des instances judiciaires pour espérer lutter efficacement contre cette impunité, ce mal qui sévit dans la ville de Bambari comme ailleurs en RCA.